Bibliographies
Florenzi, Marianna (1802-1871)
*Moins connue que la marquise du Châtelet et Mme de Staël, la marquise Marianna Florenzi, italienne de Pérouse, était une traductrice industrieuse et engagée. Son nom est intimement lié à la diffusion de la pensée de Leibniz en Italie. Elle a contribué à répandre tout un mouvement idéologique, représenté par des philosophes tels Giordano Bruno (1548-1600), le philosophe hollandais Spinoza (1632-1677) et Friedrich Wilhelm von Schelling (1775-1854). Ce mouvement englobe aussi la traduction de la pensée néoplatonicienne, la naissance du spiritualisme parisien moderne, Victor Cousin, l'idéalisme allemand et les querelles sur le naturalisme et le matérialisme. Traductrice, auteur et commentatrice, Marianna a été la médiatrice et la disséminatrice de tous ces courants. Elle a tenu un salon à Pérouse où foisonnaient les idées sur le panthéisme, le communisme, le socialisme, le pourvoir temporel du pape, sujets sur lesquels Marianna a produit des écrits originaux. Aucun ouvrage porte sur son oeuvre de traductrice et de savante, sauf celui, peu diffusé, de M.A. Degl'Innocenti Venturini (1976; 1978). Marianna occupe une place importante en histoire de traduction parce que, à travers son oeuvre de traductrice, elle a sélectionné, analysé, commenté et annoté tout un ensemble d'oeuvres de premier plan qui embrassent la pensée philosophique depuis le néoplatonisme jusqu'aux courants historiques contemporains. ** Son apprentissage des langues suit plus ou moins la "courbe" de ses amours. Elle apprend l'allemand à la faveur de sa liaison avec le prince Louis de Bavière. Elle apprend l'anglais par amour pour son deuxième mari, Charles Waddington, professeur de philosophie à la Sorbonne. Enfin, le français elle l'apprend par amour pour la philosophie et la pensée critique. L'histoire garde les épisodes romancés de la vie libertine de cette "belle marquise"; c'était une "belle infidèle", pleine de charme. Comme George Eliot (1819-1880) elle fut attirée par les milieux philosophiques et les problématiques liées à l'émancipation féminine: pourtant, on ne sait pas si les deux femmes se sont rencontrées. ** Marianna vécut à une époque ou naît la "pluralité des mondes", où la traduction joue un rôle prépondérant. Elle reste la seule femme à avoir été admise à l'Académie Royale de Sciences morales et politiques de Naples. Comme l'Italie était la destination privilégiée de ceux qui cherchaient à représenter le monde ancien par de nouvelles traductions des classiques, Marianna fit la connaissance de plusieurs Européens en voyage: Stendhal, Byron, Shelling (considéré comme le Platon germanique) et surtout von Platen et Hoelderlin. Marianna a traduit Leibniz et Kant, en attachant beaucoup de soin à la traduction des concepts philosophiques. Elle voit la mission du traducteur comme étant comparable à celle des poètes, comme Dante et Shakespeare: "les grandes idées sont exprimées dans une langue magique" (Schelling dans Hamberger 1864: 4) et le traducteur doit tout faire pour respecter cette langue. Il paraît qu'un ouvrage sur Schelling est un exemple, rarissime en histoire de la traduction, d'une oeuvre rédigée spécifiquement à l'intention d'un traducteur, de sa langue et de sa nation. ** Marianna, par le biais de la traduction, du commentaire, des gloses et des postfaces, a diffusé des idées condamnées par les esprits bornés qui imposent LEUR orthodoxie. Marianna traduit par passion et choisit elle-même ce qu'elle a envie de traduire. Elle traduit par amour un oeuvre de son deuxième mari, ("La psychologie d'Aristote exposé par Charles Waddington"). Sa traduction la plus importante était probablement La Mondologie de Leibniz, oeuvre posthume écrite en français en 1714 sur commande, peu de temps avant la mort du grand philosophe. Marianna Florenzi se distingue des autres traducteurs "littéraires", car elle a choisi la voie difficile de la traduction d'oeuvres appartenant au domaine de la science épistémologique. On constate que tout son oeuvre tend vers une triple libération spirituelle et intellectuelle: en tant que femme, en tant qu'Italienne et en tant que savante et vulgarisatrice. (Résumé d'un article de Rosanna Masiola Rosini paru dans "Portraits de traductrices", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.)