Bibliographies

Smith, Julia E. (1792-1886)

*Entre 1847 et 1855, Julia E. Smith traduit, seule, la Bible en anglais, à partir de versions en langues hébraïque, grecque et latine. Publiée en 1876, sa traduction, la plus littérale possible, a inspiré à son tour la publication de l'oeuvre controversée de la féministe Elizabeth Cady Stanton, "The Woman's Bible". Julia Evelina Smith (1792-1886) a entrepris sa traduction à la suite de ce qu'on a appelé la "Grande Déception" de 1844. Des croyants de la Nouvelle-Angleterre et de l'État de New York ont été profondément bouleversés quand, contrairement à la prédiction de William Miller, l'apocalypse annoncée pour 1943 n'a pas eu lieu. ** Née dans une famille studieuse et pieuse à Glastonbury, Connecticut, Julia voue sa vie à l'étude de la Bible et des langues étrangères (dont le grec, l'hébreu et le français). Sa famille constitue un soutien financier et moral important grâce auquel Julia peut se consacrer à ses recherches. Les membres de la famille s'adonnent à diverses activités intellectuelles, sociales et politiques (abolitionnisme, mouvement en faveur de la tempérance, liberté de pratique religieuse, mouvement de revendication des femmes). Son père, Zephaniah Smith (1759-1836) fut ordonné ministre de l'Église congrégationaliste, mais intéressé aux idées du réformateur Robert Sandeman, il a démissionné de son poste de pasteur pour devenir avocat et juge de paix à Glastonbury. ** La plupart des activités religieuses des Smith avaient lieu à la maison. De sa mère, Hannah Hadassah Hickok (1767-1850), elle a surtout acquis sa culture générale et sa connaissance des langues. Hannah Hickok était poète, mathématicienne, horlogère et astronome; elle connaissait le français et le latin et avait appris seule l'italien à l'âge de cinquante ans afin de traduire les grands classiques. ** Les femmes ne pouvaient pas s'inscrire dans les collèges et les universités à cette époque, mais Hannah et Zephaniah Smith ont tout de même choisi pour leurs filles des établissements scolaires où l'on appliquait de nouvelles méthodes d'enseignement; ils ont embauché des tuteurs et ont profité des activités culturelles et sociales organisées par le Yale College. Leur maison était un lieu propice à l'étude, où avaient lieu des séances quotidiennes de lecture de la Bible. ** Julia s'absente du foyer familial moins d'un an pour aller travailler au Emma Willard's Troy Female Seminary. Revenant chez elle (elle s'ennuyait de sa famille) elle ne quitta plus ce foyer familial jusqu'à son mariage tardif à quatre-vingt-sept ans. ** Comme William Miller, la famille Smith avait une confiance absolue dans la Bible et Julia croyait à ses prédictions apocalyptiques. L'influence de Miller était tellement grande que les soeurs Smith, en anticipant "le second Grand Réveil" ont adopté un comportement puritain, et ont renoncé aux plaisirs de ce monde en retournant, par exemple, les tableaux face au murs, en couvrant le piano d'un drap mortuaire et en laissant mourir leurs plantes. Cependant, lorsque le second avènement du Messie ne s'étant pas matérialisé en 1843, Julia Smith nia qu'elle et ses soeurs avaient été des disciples de Miller. ** C'est justement à cause de l'échec des prédictions de Miller (qui ne connaissait que l'anglais et s'était basé uniquement sur la "King James Version") que Julia, qui connaissait déjà le latin et le grec, eut l'idée de retourner aux sources anciennes afin d'en pénétrer le sens exact. Julia apprend l'hébreu afin de pouvoir lire l'Ancien Testament dans le texte. Elle consacre à cet apprentissage huit années d'études et de travail assidu (de 1847 à 1855). ** Soucieuse de littéralité, elle travaille quotidiennement à sa traduction, parfois des journées entières. Le dimanche elle soumet son travail à ses soeurs. Julia avoue dans la préface de l'édition de 1876: "I wrote out the Bible five times, twice from the Greek, twice from the Hebrew and once from the Latin..." (Smith 1876). ** Ce manuscrit n'a jamais été destiné à la publication; il s'est constitué au fur et à mesure de discussions de nature privée et personnelle. L'histoire sociale du pays joue un rôle dans les événements qui sont à l'origine de la publication de cette Bible. Injustement obligées à payer des hausses de taxes, mais privées du droit de vote, en 1869 Julia et sa soeur Abby se rendirent au rassemblement en faveur du droit de vote des femmes qui avait lieu à Hartford. Au cours des années qui suivirent, elles assistent régulièrement aux rassemblements en faveur du droit de vote. ** Le profond sentiment d'injustice ressenti par les soeurs Smith entre 1869 et 1876 est probablement un des facteurs qui a incité Julia à publier sa traduction de la Bible. Les Smith ont assumé elles-mêmes les quatre mille dollars qu'a coûté l'impression de mille exemplaires de la Bible et ont versé les profits au mouvement en faveur du suffrage universel. ** La traduction de Julia Smith fut entreprise pour des motifs personnels et religieux et ne peut pas être décrit comme épousant une perspective féministe. Guidée par la recherche du sens réel des mots, la traductrice produit un texte dépourvu de naturel et de charme littéraire dans son souci de littéralisme. Cependant, par sa mission même on peut affirmer que Julia a fait avancer la cause des femmes. Elle avoue dans une entrevue accordée au "New York Sun" en 1876: "We want to show those people who think women unfit to vote and otherwise so much inferior to men intellectually, that here one woman has done a thing which no one man ever did - translate the whole Bible." ** La traduction de la Bible de Julia Smith prit une importance accrue lorsque Elizabeth Stanton lança son projet de publier un ouvrage composé de tous les passages de la Bible faisant référence aux femmes, "The Woman's Bible", peu de temps après le décès de Julia Smith en 1886. Au courant des luttes que Julia avait menées avec sa soeur, ainsi que de l'existence de sa traduction, Stanton a entrepris une révision critique de la Bible, qui d'ailleurs est vite tombé dans l'oubli. ** Les ouvrages de Smith et de Stanton furent toutefois redécouverts à la fin du XXe siècle à la faveur du mouvement féministe. "The Woman's Bible" fut rééditée en 1985; et depuis la fin des années 1970, on a publié de nombreux livres et articles sur Julia et Abby Smith. (Résumé d'un article de Luise von Flotow paru dans "Portraits de traductrices", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.)