Bibliographies

Larbaud, Valery (1881-1957)

*Connu comme l'auteur de "Fermina Márquez", Valery Larbaud joua un rôle important dans l'introduction en France de Samuel Butler et de James Joyce. Il a assuré le passage d'une culture à l'autre de plusieurs écrivains: il fut tout autant découvreur que traducteur, ne se contentant pas de traduire, mais assurant par des études et des articles la diffusion des œuvres qu'il aimait et voulait faire connaître. ** Sa vie fut placée sous le signe du voyage, de l'ouverture à l'autre et de l'aisance qui va lui permettre de consacrer la totalité de son temps aux voyages, à la littérature, à l'écriture. Né à Vichy, son père meurt quand l'enfant a huit ans, et c'est sa mère qui joua un rôle déterminant dans la naissance de son cosmopolitisme. Dès son plus jeune âge, il voyage: d'abord la Provence, la Côte d'Azur; ensuite l'Espagne, la Belgique, l'Allemagne, la Russie, la Turquie, l'Autriche et l'Italie. ** Très tôt, il manifeste un attrait pour la littérature et le goût d'écrire. Larbaud commence à apprendre l'anglais à Vichy, il y ajoute l'allemand et le latin au collège de Fontenay-aux-Roses, dont l'atmosphère imprégna plus tard "Fermina Márquez". Après son baccalauréat, Larbaud tente d'obtenir son émancipation légale et entre à Louis-le-Grand. Il découvre le goût de la rébellion, la fugue... et Walt Whitman. La traduction pénètre dans la vie de Larbaud avec le désir de rendre les vers de cet Américain. Ensuite la traduction prend sérieusement sa place avec la publication, à ses frais, en 1901, de sa première version de "The Rhyme of the Ancient Mariner", édition bilingue, qu'il retravaillera pour la publier à nouveau dix ans plus tard. ** En 1901 Larbaud finit ses études secondaires: il obtient son baccalauréat de philosophie et s'inscrit en licence de langues étrangères à la Sorbonne. Il commence à traduire de façon sérieuse et à publier ses traductions. Il entreprend divers projets de composition littéraire et commence à écrire pour une revue, "La Plume". Larbaud sera ensuite codirecteur de deux revues auxquelles il fournira régulièrement traductions et articles: "Commerce", qui parut de 1924 à 1932, et la "Revue Européenne", de 1923 à 1931. ** De 1899 (où il découvre Whitman) à 1934 (où il révise sa traduction de "Moglie del Sado" de Gianna Manzini), Larbaud n'a cessé de traduire ou d'inciter les autres à traduire. Certaines de ces traductions portaient sur des textes courts et ont été publiées dans les revues "Commerce", "La Phalange" et la "N.R.F." (textes de Francis Thompson, R. L. Stevenson, Landor, Chesterton, etc.). D'autres parurent dans des collectifs (comme le Whitman) ou de manière individuelle. Trois littératures ont eu particulièrement sa faveur: l'anglaise, l'espagnole et l'italienne. En août 1935, Larbaud est terrassé par un accident cérébral qui le laisse partiellement aphasique. À partir de cette date, pendant près de 22 ans, malgré les soins dont il est l'objet et une certaine amélioration de son état, Larbaud n'est plus que l'ombre de lui-même. ** Angliciste passionné, après ses traductions de poèmes de Whitman, Larbaud a publié une traduction partielle de "High and Low Life in Italy" de Landor. Il passe de nombreux séjours en Angleterre (1902, 1907, 1909); le dernier inspire un volume d'impression, "Le Cœur de l'Angleterre" et des "Notes sur Stratford". Il publie des articles sur des auteurs anglais, dont Thomas Hardy et H.G. Wells. Il traduit une nouvelle de Arnold Bennett, mais son plus important travail fut sans doute accompli à partir de l'œuvre de Butler, qu'il découvre en 1912. ** La majeure partie de ce travail fut réalisée en Espagne, au cours des quatre années que Larbaud passa pratiquement à Alicante, soit de 1915 à 1919: il traduit "Erewhon", "Erewhon Revisited", "The Way of All Flesh", "Note-books" et "Life and Habit". La publication des traductions s'étale de 1920 à 1924, mais la critique française fut loin de partager l'enthousiasme de Larbaud pour Butler. Ces premières traductions sont un échec commercial. ** Outre Butler, qui fut son œuvre majeure, Larbaud fut également associé à la traduction de Joyce. Larbaud fut présenté à Joyce par Sylvia Beach en 1920. Il recommande Auguste Morel pour celle d'"Ulysses" tout en acceptant de superviser l'entreprise, qui ne démarre vraiment qu'en 1924. Larbaud non seulement rejette des ajouts indus de Morel, mais infléchit la traduction vers une plus grande précision. ** Larbaud a également traduit de l'espagnol (en collaboration) deux auteurs: Gabriel Miro et Ramon de la Serna. Et il a traduit de l'italien des écrits de Bruno Barilli et de Gianni Manzini. ** Tout au cours de sa vie, à mesure qu'il traduisait, Larbaud s'est exprimé sur la traduction, que ce soit sous la forme de préfaces, d'avant-propos, d'articles, dont un certain nombres furent rassemblés pour constituer "Sous l'invocation de saint Jérôme". Larbaud récuse le mot à mot et travaille le texte pour lui "donner un tour plus françai". Sa manière de traduire va à l'encontre d'une traduction impulsive, communicative, non contrôlée par rapport au texte de départ. Larbaud, on le verra avec ses écrits traductologiques, est de ceux qui estiment que le traducteur n'est pas transparent, et même s'il prétend avoir maîtrisé, en l'honneur de Butler, son goût de faire une "traduction personnelle", l'auteur Larbaud est quand même toujours là présent dans son texte. Il affirme la nécessité d'une traduction libre, personnelle. Sa modernité apparaît dans ses regrets qu'on laisse dans l'ombre l'œuvre des traducteurs et en particulier celle de ceux qui ont aussi été des écrivains. Chez Larbaud, le plaisir de la lecture s'accompagne du plaisir de répandre et de transmettre, cela fait partie des "Joies et profits du traducteur". ** Larbaud a théorisé dans la mesure où comme un certain nombre de traducteurs avant lui, il a réfléchi sur ce qu'il faisait et a tenté de l'exprimer pour le faire partager. Mais il y a de toute évidence une absence de rigueur qui est inhérente à sa personnalité, une sorte de dilettantisme intellectuel. Toutefois, ses pensées sont éminemment capables d'induire une réflexion humaniste parce que précisément elles sont le fruit d'un esprit capable d'abolir les frontières. (Résumé d'un article de Michel Ballard paru dans "Portraits de traducteurs", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1999.) [Voir le module "Portraits"].