Bibliographies
Coindreau, Maurice-Edgar (1892-1990)
*Le nom de Maurice-Edgar Coindreau (né le 25 décembre 1892 à La Roche-sur-Yon, mort à Limeil-Brévannes le 20 octobre 1990) est inséparable de la cohorte des grands écrivains américains qu'il a "découverts". On connaît le mot de Sartre au lendemain de la guerre: "La littérature américaine, c'est la littérature Coindreau". C'est presque en vain, en effet, qu'on chercherait un grand nom du roman américain d'entre les deux guerres dont il n'a pas traduit une oeuvre (il n'y aurait guère que Scott Fitzgerald et Thomas Wolfe) -- c'est toujours le premier qui le faisait, en pionnier d'une nouvelle littérature, mais en pionnier modeste: presque toujours, en effet, le traducteur en lui s'effaçait, et il faisait préfacer ses livres par un écrivain. ** "Manhattan Transfer" (1928) n'a pas de préface, mais "L'Adieu aux armes" (1932) est préfacé par Drieu La Rochelle, "Tandis que j'agonise" (1934) par Valery Larbaud, "Le petit arpent du bon Dieu" (1936) par André Maurois, "Des souris et des hommes" (1939) par Joseph Kessel, etc. Aux trente-cinq titres américains traduits, il convient d'ajouter treize titres espagnols. Hormis le premier ("Divines paroles", de Valle Inclan, en 1927), tous ont été produits entre 1956 et 1968 -- cinq de Juan Goytisolo et un de chacun des écrivains suivants: Rafael Sanchez Ferlosio, Muguel Delibes, Elena Quiroga, Ana Maria Matute, Juan Marsé. Comme il le dit dans ses "Mémoires d'un traducteur" (Gallimard, 1974), il aimait rencontrer ses auteurs -- mais après les avoir traduits. Rare (pour l'époque), et pré-exemple de collaboration entre l'auteur et le traducteur, fut sa rencontre avec William Faulkner; celle-ci eut lieu en 1937, à l'occasion de la traduction du "Bruit et la fureur", laquelle restera sans doute sa réussite la plus notoire. ** Agrégé d'espagnol (1921), Coindreau débuta à Orléans, puis il passa quelque temps au Lycée français de Madrid, et y serait probablement resté s'il n'avait dû chercher un autre poste d'agrégé. C'est alors qu'il devint (et resta, jusqu'à la fin de sa carrière) professeur de français à Princeton (1922-1961). Là, il enseigna à de nombreux étudiants la langue et la littérature françaises -- Rabelais, son auteur préféré, mais aussi les contemporains qu'il connaissait personnellement: Eugène Dabit, Jules Romains, Jacques de Lacretelle, André Maurois. Ses meilleurs amis, surtout pendant la guerre, il les connut pourtant dans le monde musical: Darius Milhaud, Robert et Gaby Casadesus, Zino Francescatti... ** Ses références, en matière de traduction, étaient d'ailleurs toutes d'oreille et de musique, et nullement de peinture. Il plaçait au sommet de son panthéon musical Erik Satie (La Mort de Socrate) et Debussy (Pelléas et Mélisande). Lorsqu'on lui demandait pourquoi il avait tant traduit, il répondait: "pour ne pas m'ennuyer." C'est ainsi qu'il apporta à Gaston Gallimard la première, puis souvent la deuxième traduction francaise (rarement plus, sauf dans le cas de Faulkner) des oeuvres de Dos Passos, Hemingway, Faulkner, Steinbeck, Caldwell -- les cinq "grands" auxquels Claude-Edmonde Magny allait bientôt consacrer un chapitre de son livre, "L'Age du roman américain". C'était en 1948: cette année-là, comme pour signifier qu'il n'allait pas se contenter de cette première vague de succès, Coindreau publia "La Feuille repliée", de William Maxwell, puis, en succession rapide et jusqu'en 1978 (il avait alors 86 ans, et ne traduisait plus qu'en collaboration), la nouvelle génération: Truman Capote, William Goyen (en 1954, la traduction de "La Maison d'haleine", qu'il estimait avoir été plus difficile encore que celle du "Bruit et la fureur", lui valut le Prix Halpérine Kaminski), Flannery O'Connor, William Styron, Reynolds Price, Fred Chappell, Vladimir Nabokov, William Humphrey, Shelby Foote enfin. ** Dans le cas de Maurice Edgar Coindreau, ce n'est pas seulement la loi de 1957 qui reconnaît au traducteur le statut d'écrivain -- c'est aussi l'histoire de la littérature. C'est ce qui a justifié, en 1981, la création du Prix Maurice Edgar Coindreau, qui récompense chaque année le "meilleur livre américain en traduction française." *(Source: Michel Gresset: www.uhb.fr/faulkner/WF/french/maurice_coindreau.htm). [Voir le module "Portraits"].