Bibliographies

Dumont, Étienne (1759-1829)

*Juriste, traducteur et grand patriote genevois, Étienne Dumont a d'abord été théoligien et pasteur. Aujourd'hui on se souvient principalement de lui comme interprète et traducteur du juriste anglais Jeremy Bentham et, à un moindre degré, comme publiciste au service de Mirabeau. Grâce au Genevois, les œuvres de Bentham, dont plusieurs étaient encore inédites en version originale anglaise lorsque parurent les traductions françaises, furent disséminées à travers le monde entier et exercèrent une influence considérable sur l'évolution des pratiques parlementaires et pénales. La rencontre des deux hommes remonte à 1788. Dumont lui-même relate dans une lettre de 1790: ** "Ma liaison avec Bentham date d'une circonstance qui lui fait honneur. Il * avoit écrit, il y a trois ans, un ouvrage en français qu'il vouloit publier, et * pour lequel un de ses amis [sir Samuel Romilly] lui persuada de me le * communiquer sans me dire quel en étoit l'auteur. On me demanda * simplement quelle étoit mon opinion sur le style. Je répondis très-naïvement * que le français étoit plein de fautes, de barbarismes, et défiguroit un * ouvrage d'ailleurs très-bon. Peu de jours après, mon homme vient à moi au * milieu d'une nombreuse compagnie, me prend la main et me remercie en * riant de bon cœur. Depuis ce temps nous avons été bons amis" (cité par * Candolle 1829: 9). ** Cette appréciation franche a été déterminante pour la carrière littéraire d'Étienne Dumont et l'a entraîné à un travail énorme: la mise en forme, la traduction et la diffusion des écrits du prolifique jurisconsulte anglais. ** Fils d'un homme de loi, Jeremy Bentham (1748-1832) est reçu avocat à dix-neuf. Bentham profite de son indépendance de fortune cependant pour se consacrer entièrement à l'étude théorique du droit. En quinze ans, soit de 1776 à 1791, il produit cinq ouvrages importants, y compris "A Fragment on Government" (1776), "Defence of Usury" (1787). "Introduction to the Principles of Morals and Legislation" (1789). Les théories de Jeremy Bentham, regardé comme le père de l'utilitarisme, reposent sur le "principe d'utilité". Selon le juriste, le bonheur public doit être l'objet du législateur, et l'utilité générale le principe du raisonnement en législation. Mais c'est aussi un esprit universel. Véritable visionnaire, Bentham eut notamment l'idée d'un Congrès permanent pour la paix, organe préfigurant la Société des Nations et l'Organisation des Nations unies. ** Le Genevois s'enthousiasme pour les idées du génial mais brouillon jurisconsulte. Dumont, qui n'avait jamais pratiqué la traduction, décida de produire lui-même une version française de l'œuvre de Bentham. Il avait la conviction de trouver la vérité chez Bentham et de faire oeuvre d'utilité publique. Et Bentham tenait à voir diffuser ses idées en français, jusqu'au milieu du xixe siècle, la langue de la culture en Europe. ** Dumont avait alors achevé des traductions-compilations de l'oeuvre de Bentham, y compris les trois volumes des "Traités de législation civile et pénale" (1802); la "Théorie des peines et des récompenses", en deux volumes (1811); la "Tactique des Assemblées législatives, suivie d'un Traité des sophismes politiques" (1816) et la "Traité des preuves judiciaires" en deux volumes (1823). La méthode appliquée par Dumont diffère de celle d'un simple traducteur et s'apparente plutôt à celle d'un compilateur; il devait faire beaucoup de choix entre des variantes, supprimer les répétitions et éclaircir des parties obscures; parfois il change l'argumentation la distribution et même les résultats des idées maîtresses de Bentham. ** Dumont fit également profiter le grand tribun Mirabeau de son don pour la rédaction, de même que les autorités de sa chère république de Genève. Mirabeau est l'apôtre de la liberté et des droits individuels. Le talent de rédacteur de Dumont fascina Mirabeau qui admirait particulièrement chez lui la clarté des démonstrations, la logique des déductions et la pertinence des enchaînements. Étienne Dumont est aussi l'auteur de nombreux discours de Mirabeau. Par ailleurs, dans la République de Genève, Dumont fut chargé de rédiger un nouveau règlement de procédure judiciaire en remplacement du code français. ** Il paraît que vers la fin de sa vie Dumont a eu l'intention de regrouper dans un traité sur l'art d'écrire se réflexions sur la langue, la grammaire, la traduction, la rhétorique. Dans des manuscrits, il prône l'emploi de phrases courtes et simples et se montre ennemi des longues parenthèses et des phrases complexes. Il aborde la langue en logicien. À ses yeux, "pureté de la langue" est synonyme de "clarté de la langue". ** Les œuvres de Dumont ont acquis le statut d'œuvres originales et ont été traduites en anglais par John Neal et plus tard par Robert Hildreth. Ce dernier a fait connaître l'oeuvre de Bentham aux hommes de loi américains (1864). ** En conclusion, Dumont avait le pouvoir de stimuler et de mettre en valeur le génie de Bentham. Grâce à lui et aux traducteurs Neal et Hildreth, l'oeuvre de Bentham a pu jouir d'un rayonnement universel. Dumont a véritablement inséré son âme dans celle de Bentham. La traduction dans le vrai sens du terme se réalise pleinement lorsqu'il y a communion d'âmes, c'est-à-dire intime et féconde complicité d'intelligence et de sensibilité. (Résumé d'un article d'Hannelore Lee-Jahnke paru dans "Portraits de traducteurs", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 1999.) [Voir le module "Portraits"].