Bibliographies
Buisseret, Irène de (1918-1971)
*Frêle célibataire et amie des livres et de la solitude, Irène de Buisseret nous a légué une œuvre littéraire où se côtoient gravité et humour, hauteur de propos et fantaisie. Sa production littéraire se ramène à peu de chose: deux livres de contes pour enfants et un roman philosophique. À cela s'ajoute son œuvre maîtresse: un manuel de traduction. Irène de Buisseret naît à Menton, dans les Alpes-Maritimes, le 16 mars 1918. Sa mère Lydia Sokol est d'origine russe. Son père, le comte Conrad de Buisseret Steenbecque de Blarenghien fait partie du corps diplomatique belge. En 1935, elle obtient un baccalauréat ès sciences et, en 1940, une licence en droit. Peu de temps après, elle est reçue au Barreau de Paris. Sous l'occupation allemande, elle prend le maquis dans la région de Dijon et achemine des messages à la barbe de l'occupant. En 1945 et 1946, on la retrouve attachée de presse au ministère de la Guerre. L'hebdomadaire parisien "Le Carrefour" lui confie la direction de la chronique des affaires étrangères; en même temps elle signe des articles dans d'autres quotidiens et périodiques français.** C'est en 1947 que, pour des raisons qui nous sont inconnues, Irène de Buisseret décide d'émigrer au Canada. Sa formation d'avocate, son expérience de journaliste et sa connaissance de trois langues (français, anglais, russe), devraient lui permettre, pense-t-elle, de trouver un emploi sans trop de difficulté. Elle obtient la nationalité canadienne en janvier 1955. D'abord institutrice dans une école secondaire, elle finira sa carrière comme chef du Service de traduction de la Cour suprême. Les étapes de son parcours professionnel sont les suivantes: 1947-1948 professeur de français dans une école secondaire anglaise de Dunham dans les Cantons de l'Est. 1948-1949 professeur adjoint à l'Université d'Alberta (Edmonton) où elle enseigne les langues et les littératures françaises et russes. 1949-1950 professeur de russe à l'Aviation royale canadienne, à Edmonton, et éditorialiste à l'"Événement Journal de Québec". 1950-1953 traductrice au Secrétariat d'État, à Ottawa, Division des Débats parlementaires. 1954-1955 traductrice-rédactrice à l'agence Publicité-Service, à Montréal. 1955-1957 traductrice-rédactrice pour le grand magasin Ogilvy, à Montréal. 1957-1963 traductrice au ministère des Affaires extérieures, et professeur de littérature française à l'Université Carleton, à Ottawa. 1963-1969 réviseur à la Division des Débats parlementaires. 1970-1971 chef du Service de traduction de la Cour suprême et professeur de traduction et de composition à l'Université d'Ottawa. ** Dans les années 50 elle collabore à plusieurs revues et journaux, dont "La Nouvelle Revue Canadienne", "Canadian Business", "L'Action nationale", "Le Droit", "Le Devoir". Certains de ses articles sont signés du pseudonyme Conrad de Buisseret. ** À partir de 1963, elle cesse toute collaboration à ce genre de périodiques; cet arrêt coïncide avec la publication de deux ouvrages: un livre pour enfant "Kotikoti ou la poule qui voulait devenir artiste" et un roman "L'Homme périphérique". "Kotikoti" est une fable dans laquelle des animaux parlent; on y trouve aussi des échos d'"Alice au pays des merveilles" avec qui Irène de Buisseret partage le plaisir de jouer avec les mots. ** Son roman "L'Homme périphérique" est une méditation philosophique plus qu'œuvre romanesque. Cet ouvrage plonge le lecteur dans une crise métaphysique et a la facture d'une tragédie grecque. Il est à la fois une réflexion sur le sens de la vie et de la mort et sur la solitude inexorable de l'homme. "L'Homme périphérique" est au fond un réquisitoire contre ceux qui assassinent les valeurs humaines, dégradent l'homme. ** En 1950, Irène de Buisseret réoriente sa carrière en choisissant la traduction, mais elle ne perdra jamais contact par la suite avec le milieu universitaire. Traductrice à Ottawa en 1963, elle était aussi chargée de cours de littérature française à l'Université Carleton. Elle accepte également de donner des cours de traduction à l'Université d'Ottawa. ** L'idée de publier un manuel sur l'art de traduire arrivait à point nommé. Avant son ouvrage, on ne peut guère citer que celui de Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet, "Stylistique comparée du français et de l'anglais" paru en 1958. N'ayant pas à sa disposition un vocabulaire spécifique pour décrire les phénomènes de la traduction, Irène de Buisseret structure son manuel comme un traité médical. L'auteur cultive les métaphores et cherche à créer des images frappantes. Selon elle, en outre des connaissances linguistiques, le traducteur doit être armé d'une vaste culture. Son manuel ouvre l'esprit, renferme des trésors de connaissance. Jamais l'auteur ne s'érige en censeur ou en "flic de la langue" même si son point de vue est très normatif. Son ton est arrondi par l'humour et le bon goût. Pour Irène de Buisseret, une langue est infiniment plus qu'un simple instrument d'expression et de communication: le critère pragmatique, utilitaire ne peut pas à lui seul définir une langue. ** En 1970 elle a terminé son manuel et l'a soumis à un éditeur montréalais. Puis arrive le jour fatidique du 28 avril 1971: Irène de Buisseret se suicide à l'âge de 53 ans. On ne connaît pas les motifs qui ont provoqué ce geste irrémédiable. ** "Le Guide du traducteur" paraît après sa mort. Dès sa parution, le manuel donne lieu à un florilège d'éloges dithyrambiques. Ce manuel fut accueilli comme une sorte de bouée de sauvetage. En effet, à Ottawa, à Montréal, à Trois-Rivières, à Québec, à Moncton, les premières écoles de traduction venaient de voir le jour. L'édition définitive du guide paraît finalement en 1975: "DEUX LANGUES, SIX IDIOMES" Manuel pratique de traduction de l'anglais au français PRÉCEPTES - PROCÉDÉS - EXEMPLES - GLOSSAIRES - INDEX "Pour un bon entendement des six variétés des deux langues officielles du Canada". Georges Mounin dénonce la trop grande part d'empirisme qui caractérise ce manuel. En effet, l'ouvrage se caractérise par l'absence d'un cadre théorique, mais les théories séduisent peu les praticiens. ** Sa conception classique de la langue et sa vision humaniste de l'enseignement, Irène de Buisseret les a cristallisées pour ainsi dire dans son manuel, ouvrage qui fait date dans l'histoire de l'enseignement de la traduction au Canada. Cette traductrice au destin tragique passera à l'histoire comme une figure d'excellence et une pionnière de la pédagogie de la traduction. (Résumé d'un article de Jean Delisle paru dans "Portraits de traductrices", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.) [Voir le module "Portraits"].