Bibliographies
Caillois, Roger (1913-1978)
*Grand traducteur, Roger Caillois le fut au plus creux, au plus intime de l'art de traduire, il voyait dans les mots ce qu'il voyait dans les pierres ou les ocelles des papillons: un univers avec tous ses prolongements et ses concordances. Il traduisait peu, mais par dilection, comme par exercice spirituel, allant par discipline et par instinct presque au-delà de la pensée de ses auteurs, palpant, pesant chaque terme, cherchant une sorte d'absolu qui n'excluait pas l'humour lorsque se produisaient des paradoxes linguistiques qui l'enchantaient.** Une phrase de son "Rocher de Sisyphe" me revient en mémoire: Les remous secrets de l'univers. Sous son détachement apparent, Roger Caillois possédait ce don du secret, de l'insolite, des rapprochements inattendus. Il connaissait mieux que quiconque l'Amérique latine où il avait vécu et enseigné, où il avait animé la revue "Sur" de Vittoria Ocampo et, pendant la guerre, fondé les Lettres Françaises. Plus tard, il dirigea aux Éditions Gallimard la riche collection La Croix du Sud.** Hôte de Gabriela Mistral au Brésil en dialogue constatant avec elle, il traduisait ses poèmes et l'auteur, s'inspirant de sa version, remettait ses propres créations sur le métier. Traducteur d'Antonio Prochia, il le fut surtout de Borges, son ami, dont l'immense culture correspondait à la sienne. En 1977, Borges revint en France et, dans une interview avec Caillois, il s'écria en se tournant vers lui: "O mon traducteur, ô mon bienfaiteur!", mettant ainsi l'accent sur l'éminente dignité du traducteur et sur sa mission, déjà signalées par Valéry Larbaud. Bienfaiteur, Roger Caillois le fut également pour les traducteurs. De par ses hautes fonctions à l'UNESCO, il fut, dès sa création, en relations étroites avec la Fédération Internationale des Traducteurs. Il en avait compris le rôle. Nous lui devons beaucoup. (Pierre-François Caillé, dans "Babel", vol. 25, no 1, 1979, p. 43)