Bibliographies

Karavelova, Ekaterina (1860-1947)

*Cette femme de caractère, énergique et volontaire, l'une des plus cultivées de son époque, laisse une œuvre aux diverses facettes: pamphlets, articles critiques sur la littérature bulgare, discours, poèmes inédits, et... des traductions, au nombre de 32, du français surtout, mais aussi du russe, de l'allemand et de l'anglais, faites entre 1888 et 1899 et parues, dans leur majeure partie, dans des revues littéraires. La lecture des mémoires (écrits en 1925) et fragments de journal qui ont survécu aux nombreuses perquisitions subies par son mari et elle, ne nous laissent que quelques lignes sur ses traductions, rien sur sa pratique: c'est une traductrice vraiment discrète. Dans sa vie on peut distinguer trois grandes périodes: celle de l'enfance et des années de formation en Russie (1860-1978); les années de lutte aux côtés de son mari pour la démocratie dans une Bulgarie indépendante (1880-1903); enfin, le combat pour les droits de l'homme et la paix dans le monde, qu'elle poursuivra jusqu'à sa mort. ** Lorsque naît Ekaterina Karavelova, le 21 octobre 1860, la Bulgarie est encore une province ottomane; en 1878 survient la Libération, caractérisée par un double combat: d'une part culturel et religieux pour une Église indépendante du patriarcat de Constantinople qui avait aussi la main mise sur les écoles chrétiennes où l'enseignement était dispensé en grec; d'autre part politique pour une Bulgarie libérée. On crée massivement des écoles car l'instruction en bulgare devient le symbole de la liberté, et l'instituteur ou l'institutrice acquièrent une autorité et un statut social particuliers. Née à Roussé, ville portuaire sur le Danube, d'une famille modeste d'artisan (son père est fourreur), la vie de Ekaterina Velikova Peneva fut bouleversée lorsque sa tante décide d'aller en Russie pour revoir son fils, Todor Minkov, installé depuis de longues années à Nikolaev. La tante décide d'emmener sa nièce alors âgée de dix ans, pour qu'elle reçoive la meilleure instruction, et l'installe à Moscou dans une famille aristocratique du général Vsevolod Nikolaevitch Lermontov et de sa femme, Elissaveta Andreevna, qui l'aiment comme leur propre fille. Elle restera chez eux jusqu'en 1878, étudiant brillamment dans un lycée moscovite très réputé. ** Elle découvre la littérature russe et européenne; elle perfectionne son allemand qu'elle comprenait déjà et apprend le français. Dans la demeure des Lermontov, comme dans celle de tous les aristocrates de cette époque, le français est la langue dans laquelle on s'exprime avec le plus d'aisance. C'est à Moscou, aussi, qu'elle rencontre, encore adolescente, Petko Karavelov, alors étudiant en droit. ** En 1878, Ekaterina a terminé ses études au lycée et s'obstine à vouloir rentrer dans son pays tout récemment libéré de l'occupation ottomane, malgré les exhortations des Lermontov et de ses amies. Le choc culturel est rude; elle est confrontée à la misère. En plus, elle a oublié le bulgare. Elle commence tout de suite le combat, transformant sa chambre passée à la chaux en salle de classe et accueille, peu à peu, plusieurs élèves de niveaux très différents. Elle désire contribuer à élever le niveau culturel de son peuple. ** En 1880 elle épouse Petko Karavelov; au mois de mars de la même année, son mari est nommé Premier ministre, chargé de former un cabinet libéral issu de la majorité parlementaire. Il va donc vivre à Sofia, tandis que sa jeune femme attend la fin de l'année scolaire pour le rejoindre. Leur vie conjugale sera marquée jusqu'au bout du signe de la complicité, de la compréhension et de la collaboration. C'est pour lui qu'Ekaterina entreprend ses premières traductions et ses premiers écrits. En 1881 l'Assemblée est dissoute; les Karavelov se réfugient en Roumélie orientale, à Plovdiv, où ils exercent le métier d'enseignants. De retour à Sofia en 1884, Ekaterina accepte d'enseigner au lycée de filles. ** En 1887, prenant prétexte d'un soulèvement à Roussé, Stambolov arrête les libéraux, Petko Karavelov le premier. Apprenant qu'ils sont soumis aux pires traitements Ekaterina Karavelova fait le tour des ambassades et légations étrangères, afin d'obtenir leur soutien pour demander la libération des détenus. L'intervention réussit cette fois. En 1888, Petko Karavelov et un petit groupe de collaborateurs fondent la revue "Biblioteka Sveti Kliment". Cette revue littéraire de haute qualité, où se trouve la majeure partie des traductions d'Ekaterina Karavelova, contribua à former le goût littéraire d'un grand nombre d'intellectuels de l'époque. Dans un cahier écrit en français sur "la femme bulgare d'autrefois et de nos jours", Ekaterina Karavelova retrace avec passion et flamme le combat mené pour préserver cette langue malgré les vicissitudes de l'Histoire. Déplorant le fait que le peuple bulgare lit peu, l'absence d'une littérature populaire qui crée le désir massif de lire, les collaborateurs de la revue "Biblioteka Sveti Kliment" se donnent pour but de combler cette lacune et de développer le goût pour la belle littérature. Traduire des œuvres relativement courtes, pas trop difficiles, accessibles, d'auteurs classiques et contemporains: c'est bien le cadre dans lequel Ekaterina Karavelova a produit ses traductions. Précisons qu'elles représentent environ les deux tiers des œuvres traduites de la revue. Elle a privilégié des auteurs connus et contemporains: surtout français (Flaubert, Maupassant, Hugo, Halévy, Nodier), mais aussi russes (Tourguéniev, Chtchédrine) et allemands (Goethe, Heine). Ses traductions lui ont également apporté de l'aide financière lors de l'emprisonnement de son mari. ** La confrontation de ses traductions avec les textes originaux produisent une impression d'ensemble très positive: il est évident que la traductrice comprend ce qu'elle traduit dans le détail et la nuance, qu'elle respecte le texte et tente d'en recréer le rythme propre, la plasticité, l'expressivité. On notera le souci de la traductrice de respecter le rythme; mais parfois elle n'est pas tout à fait à l'aise avec les usages codifiés de la société française (elle n'avait jamais mis pied sur le sol français). Traductrice discrète, Ekaterina Karavelova semble vouloir s'effacer lorsqu'elle traduit. L'on ne peut que regretter qu'elle se soit arrêtée si tôt sur un chemin aussi prometteur. ** Il est remarquable qu'entre le début de notre siècle et 1947, Ekaterina Karavelova ne traduit plus une seule ligne mais écrit beaucoup: des articles sur la littérature, sur la femme, sur la Bulgarie de son temps, des discours aussi. Après l'insurrection de septembre 1923, menée par le parti communiste pour répondre à un coup d'État, elle est à la tête du comité général d'assistance aux victimes. Désormais le combat de Karvelova est lié à de grandes causes: celle des femmes, de la paix et de la reconnaissance de la Bulgarie sur la scène internationale. (Résumé d'un article de Marie Vrinat-Nikolov paru dans "Portraits de traductrices", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.)