Bibliographies

Dostert, Léon (1904-1971)

*Léon Dostert est né en 1904 près de Verdun en France. Très jeune déjà, il commença à apprendre l'allemand et l'anglais. Il travailla ensuite comme interprète pour l'armée allemande lors de l'occupation de la France, puis pour l'armée américaine après la Libération. Muni d’une bourse, il partit pour Pasadena, en Californie, puis étudia à l’Occidental College, de l’Université de Washington, et enfin à l’Université John Hopkins. Il gravit les échelons et obtint un poste de professeur de français à l’Université Georgetown en 1939. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il était encore de nationalité française et se mit au service de l’Ambassade de France à Washington en tant qu’attaché, jusqu’en 1941, date à laquelle il obtint la nationalité américaine. En 1942, il rejoignit l’armée américaine avec le rang de lieutenant-colonel et fut officier de liaison pour le commandant en chef en France jusqu’en 1944 et ensuite interprète du général Eisenhower jusqu’à la fin des hostilités. Un des problèmes observé par Dostert lorsqu’il avait servi d’interprète entre Eisenhower et de Gaulle était le manque de communication direct entre les deux hommes d’État. Ce problème se résoudrait, selon lui, avec l’avènement de l’interprétation simultanée.
** A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Dostert fut chargé d'organiser l'interprétation simultanée lors du procès de Nuremberg, méthode qu'il fut appelé à appliquer également aux Nations Unies en 1946. Cependant, en 1945, l'interprétation simultanée en était encore à ses balbutiements. André Kaminker, l'un des grands et rares interprètes de l’entre-deux-guerres, avait été le premier à s'essayer, en 1934, à la "traduction simultanée" en interprétant pour la radio française le premier grand discours d’Hitler à Nuremberg.
** Le BIT, pour sa part, avait utilisé dans les années 30 un système rudimentaire de "simultanée téléphonique", peu convaincant, semble-t-il. Après la guerre, les langues de travail se multiplièrent, et le premier grand congrès en Europe, la Conférence Syndicale Mondiale avait démontré, en septembre 1945, les difficultés liées à l'utilisation de la seule interprétation consécutive dans une conférence multilingue. Dostert n’avait donc pas le choix: la simultanée était une nécessité absolue. Il fallait dès lors innover, improviser, créer.
** William Jackson se rendit alors aux États-Unis pour examiner le matériel expérimental d’IBM. Le colonel Dostert fut chargé de lui en présenter le fonctionnement et lui montra comment une intervention en une langue donnée était transmise par des canaux différents en trois langues, en même temps que le discours original. Les résultats de l’essai n’étaient pas parfaits, mais prometteurs si la partie technique était améliorée. L’expérience de Dostert parut convaincante au juge Jackson qui, à son tour, dut persuader les membres du Tribunal. Les juristes réunis à Londres se montrèrent dans un premier temps très sceptiques à l’égard de l’interprétation simultanée. Qu’un même système donne accès à plusieurs langues était déjà difficile à croire, mais il était tout à fait inimaginable que les traductions puissent se faire au rythme des délibérations. Ils pensaient que cela fonctionnerait dans le cas des discours préparés et des documents traduits à l’avance. Pourtant, convaincus par Jackson, ils acceptèrent de faire l’essai.
** Dostert dut donc déployer des qualités d’organisateur et dut improver pour résoudre deux problèmes majeurs: la technique et le personnel. Les difficultés techniques furent résolues avec l’équipement Filene-Finlay dont le brevet avait été acquis par IBM. Les difficultés de recrutement furent plus malaisées à résoudre: il fallut rapidement sélectionner et former des personnes capables d’interpréter afin de respecter les délais prévus. Dostert avait compris la nécessité, pour interpréter correctement, de suivre toute l'audience et d'avoir des périodes de repos. Les interprètes étaient alors novices en simultanée. La qualité de leur interprétation se perfectionnait chemin faisant.
** Le rythme de travail des interprètes était réglé comme du papier à musique. Trois équipes A-B-C, chacune de 12 interprètes. Quatre cabines : anglaise, russe, allemande, française. Dans chaque cabine, trois interprètes, chacun interprétant dans sa langue maternelle à partir de l'une des trois autres langues de travail. Tous les jours, deux équipes sur trois travaillaient (chacune à tour de rôle, sur des périodes de 45 minutes). Les interprètes avaient ainsi un ou deux jours de repos par semaine, en plus des week-ends.
** Dostert était le directeur de l’expérience, mais, naturellement, il ne pouvait pas tout prendre en main. Un des ses adjoints était l’officier de marine Alfred Steer, qui à partir de 1946, le remplaça et se chargea de la direction administrative de la Division linguistique de Nuremberg.
** De concert avec le Révérend Walsh, Dostert fonda The Institute of Languages and Linguistics à l'Université Georgetown. A partir de 1956, il travailla en collaboration avec la firme IBM sur un projet de traduction automatique, lequel s'étendit rapidement aux Etats-Unis et à l'étranger. En 1960, il mit sur pied un programme d'apprentissage et d'enseignement des langues spécialement conçu pour les personnes aveugles.
** Léon Dostert est décédé en septembre 1971 à Bucarest où il assistait à une conférence. Son perfectionnisme extrême lui valut le surnom de "Petit Napoléon". De manière générale, Dostert est considéré comme un homme brillant, compétent, et à qui la profession doit beaucoup.