Bibliographies

Dacier, Anne (1647-1720)

*Fille de l'humaniste et traducteur Tanneguy Le Fevre, Anne Dacier est née à Saumur en 1647 et non, comme on l'a prétendu à tort, en 1646, 1654 ou encore en 1651, qui est la date de naissance de son second mari André Dacier (voir ce nom) qui fut meilleur traducteur qu'écrivain. L'acte de naissance d'Anne Le Fevre retrouvé en 1900 permet de retenir avec certitude 1647 comme étant la véritable date de naissance de la traductrice. Bien que la formation intellectuelle des filles ne fût pas d'usage à son époque, la petite Anne semble avoir profité assez tôt des leçons dispensées à ses quatre frères par son père, grand érudit et ami des livres. Sa vive intelligence et ses aptitudes manifestes pour le travail intellectuel et l'apprentissage des langues ont amené son père à l'initier elle aussi à l'étude des langues et littératures gréco-latines avant que commence son instruction systématique. ** Elle a 27 ans lorsqu'elle publie, à la demande du précepteur du fils de Louis XIV, une édition d'une œuvre de l'historien latin Florus (1674) dans la collection "Ad usum Delphini" [voir le Glossaire]. Suivent de nombreuses traductions: des fragments du poète grec Callimaque (1675); des œuvres de Darès de Phrygie et Dictys de Crête (1680); des poésies d'Anacréon et de Sappho (1681); le "Liber de Caesaribus" (1681) de l'historien latin Aurelius Victor; une œuvre d'Eutrope (1683); des comédies de Plaute (1683), d'Aristophane (1684) et de Térence (1688) et quelques "Vies" de Plutarque (1694), que son mari avait entrepris de traduire. Madame Dacier avait formé le projet grandiose de publier tout le théâtre grec et latin avectraduction en français, mais elle y a renoncé pour se consacrer à Homère. Elle publia son "Iliade" en 1711 et son "Odyssée" en 1716. Ce faisant, elle cherchait à réhabiliter le poète grec injustement déprécié et critiqué, selon elle. ** Adepte de la traduction en prose, elle expose dans sa Préface de l'"Iliade" sa volonté de rendre fidèlement et exactement le texte du poète, ce qu'elle aurait été incapable de faire, croit-elle, si elle avait produit une traduction versifiée. Sa traduction ralluma en 1714 la Querelle des Anciens et des Modernes avec un disciple de Fontenelle, Antoine Houdar de La Motte, auteur, lui aussi, bien qu'ignorant le grec, d'une traduction en vers de l'"Iliade" (1714). (Houdar de La Motte avait traduit le premier livre de l'"Iliade" en 1701.) Cet autre académicien ramena le poème homérique à douze chants en éliminant ce qui, à ses yeux, n'était que prolixité et verbosité. Le versificateur, avant tout soucieux de plaire à son public, se plie à ses attentes en matière de goût, d'élégance et de bienséance. Il fait précéder sa traduction d'un "Discours sur Homère" [voir le module "Thèses, livres et textes"], vrai point de départ de la querelle, discours dans lequel l'auteur prend avec humour le contre-pied de l'introduction à Homère de Madame Dacier. Celle-ci répondit à ses attaques dans "Les causes de la corruption du goust" (1714) [voir le module "Thèses, livres et textes"], ce qui lui valut une réplique teintée d'humour, mais néanmoins courtoise, de Houdar de La Motte dans "Réflexions sur la critique" (1715) [voir le module "Thèses, livres et textes"]. La querelle se prolongea jusqu'en 1716, année où le Jésuite Hardouin fit paraître une apologie d'Homère. Il s'agissait en fait d'une nouvelle manière d'interpréter l' "Iliade", point de vue qu'Anne Dacier réfuta dans "Homère défendu contre l'apologie du P. Hardouin ou suite des causes de la corruption du goust" (1716). ** On a exagéré jusqu'à la caricature les infidélités des traductions de Madame Dacier que l'on a accusée de faire parler Homère dans la langue polie des salons littéraires du XVIIe siècle. Or, les infidélités de la traductrice sont, pour ainsi dire, "obligées", "calculées", et elles sont justifiées par d'abondantes notes. Contrairement à Houdar de La Motte et ses traductions libres, la traductrice d'Homère ne cherche pas à plaire avant tout, mais à produire une version qui respecte l'original, malgré quelques inévitables concessions à la langue et à la société de son temps. Un helléniste qui collationne l'original grec et les traductions de Madame Dacier constate que celle-ci applique davantage la méthode de traduction littérale prônée par Pierre-Daniel Huet, qui faisait partie de son cercle d'amis, que celle qui a fait la réputation de traducteur libre de Nicolas Perrot d'Ablancourt. Rappelons, enfin, que le féminin "traductrice" aurait été employé pour la première fois à propos de Madame Dacier dans l'éloge funèbre publié l'année de sa mort dans le "Journal des sçavants" (XXXVIII, 9 décembre 1720, p. 597).