Bibliographies

Châtelet, Émilie du (1706-1749)

*Beaucoup d'historiens ont mis l'accent sur le fait qu'Émilie du Châtelet fut la maîtresse de Voltaire: cette liaison amoureuse célèbre informe presque tous les portraits écrits d'elle qui nous parviennent de l'époque. Mais Mme du Châtelet a une influence scientifique sur Voltaire, et, traductrice de Newton, a sa propre place dans l'Histoire. ** Émilie s'instruit à la maison, ayant accès libre à la vaste bibliothèque de ses parents. Ses parents l'autorisent, dès l'âge de dix ans, à participer à leurs salons quasi-quotidiens, où elle rencontre les intellectuels littéraires et scientifiques les plus connus de son temps. Elle côtoie, entre autres, le duc de Saint-Simon, Rousseau et Fontenelle. À l'époque les dernières découvertes scientifiques étaient discutées non pas dans les universités, mais dans les salons, les cafés, et les Académies de sciences, d'où les femmes sont excluses. Grâce à son esprit d'indépendance, Émilie parvient à se faire admettre dans les cafés alors interdits aux femmes: elle se présente habillée en homme. ** Ni le mariage d'Émilie avec le marquis du Châtelet en 1725, à 19 ans, ni la naissance d'une fille, en 1726, et d'un fils en 1727, ne ralentissent vraiment ses activités intellectuelles. La naissance de son premier fils (elle en aura un deuxième du marquis en 1732) semble plutôt la libérer de ses obligations conjugales; dès 1728, elle quitte le château de famille du gouverneur de Semur et réintègre la vie intellectuelle et sociale de Paris. ** Entre 1728 et 1733, lors de sa rencontre décisive avec Voltaire, elle fait la connaissance du mathématicien Maupertuis, membre de l'Académie des Sciences, célèbre pour sa théorie sur la forme de la terre. On n'a qu'à lire les lettres qu'Émilie échangeait plus tard avec Maupertuis, surtout en 1736 et 1737, année où elle avait déjà commencé à travailler sérieusement sur les textes de Newton, pour constater qu'il s'agit là d'une rencontre capitale pour sa formation intellectuelle. Voltaire, pour sa part, avait entendu parler des nouvelles théories de Newton, dès son séjour en Angleterre de 1726 à 1728. C'est aussi en 1734 qu'Émilie commence ses leçons de mathématiques avec Maupertuis, leçons qu'elle continue assidûment par correspondance même lorsqu'elle quitte Paris avec Voltaire, jusqu'à ce que son professeur s'en lasse. ** Toujours est-il que sa rencontre avec Voltaire, et surtout sa décision prise à la fin de 1735 de vivre avec lui à Cirey, en retrait de la société parisienne et de la Cour, marque le début d'une période particulièrement fructueuse pour elle sur le plan intellectuel. Grâce à des visites et à des contacts faits à Cirey, Émilie du Châtelet peut nouer et entretenir une correspondance importante avec les plus grands savants de l'époque, Maupertuis, Clairaut, Bernoulli, Jurin, Euler, Mussembrœk, le père Jacquier et d'autres. Ses lettres attestent de la vigueur de la pensée d'Émilie du Châtelet et de ses réflexions scientifiques. Elle s'y montre capable de discuter des concepts les plus abstraits avec intelligence et esprit critique. Voltaire vante les compétences d'Émilie en latin, ainsi que ses connaissances des auteurs classiques. De plus, elle parlait et écrivait couramment l'anglais, l'espagnol et l'allemand. ** Vers 1740, les relations entre Émilie et Voltaire commencent à se détériorer. Voltaire se tourne davantage vers le théâtre et l'histoire, alors que l'intérêt d'Émilie pour les sciences s'accentue. Elle s'éprend à son tour d'un nouvel amant: le marquis de Saint-Lambert, poète et futur collaborateur à "L'Encyclopédie". ** Chez Émilie du Châtelet, la traduction n'est qu'un volet d'une œuvre qui comprend également plusieurs essais scientifiques et philosophiques, ainsi qu'une impressionnante correspondance. S'ajoute à cette œuvre personnelle, son apport, difficile à évaluer, aux essais scientifiques de Voltaire, notamment à ses "Éléments de la philosophie de Newton". Toutefois, c'est avec ses "Institutions de physique", publiées en 1740, qu'elle s'impose comme savante. Parmi ses essais philosophiques, on compte son "Discours sur le bonheur", rédigé vers 1746, des "Doutes sur les religions révélées", "De l'Existence de Dieu", et des articles inédits, "Examen de la Genèse et Examen des livres du Nouveau Testament". Elle rédige aussi, entre 1736 et 1740 ses Son "Essay sur l'optique: de la formation des couleurs", la "Dissertation sur la nature et la propagation du feu et les Institutions de physique". ** Sur le plan de la traduction, elle a traduit du grec classique pour son propre divertissement Aristote, une pièce de Sophocle, et du latin, des poèmes de Catulle. Seuls deux textes d'Émilie du Chatelet nous sont parvenus. Il s'agit d'abord de sa traduction partielle de l'œuvre bien connue de Bernard de Mandeville (1670-1733), "The Fable of the Bees" (1723) "La Fable des abeilles"; et le "Essay on the Origin of Moral Virtue" que Mandeville avait rédigé pour accompagner et commenter la fable. ** Elle est surtout connu aujourd'hui pour sa traduction du latin des "Philosophiae Naturalis Principia Mathematica". Le traduire est un défi de taille, d'autant plus que les idées de Newton sont loin de faire l'unanimité en France. Enceinte de Saint-Lambert, elle travaille d'arrache-pied jusque dans les derniers jours de sa grossesse sans pourtant finir de réviser le commentaire qui accompagne la traduction et sans en voir la parution. Le 10 septembre 1749, à peine six jours après avoir donné naissance à une petite fille, elle meurt à Lunéville des suites de l'accouchement. ** L'œuvre paraît en deux volumes, avec approbation et privilège du roi. Jusqu'à la parution en 1985 d'une nouvelle traduction, réalisée par Marie-Françoise Biarnais, le texte d'Émilie du Châtelet constituait la seule traduction définitive en langue française des "Principia". S'inscrivant manifestement dans un projet de communication, la traduction de Mme du Châtelet tend à couper et à simplifier les phrases. En traduisant et en commentant Newton, Émilie s'engage dans une guerre de religion intellectuelle, et se range du côté des persécutés. ** Entreprise par goût et par plaisir, nourrie par un esprit indépendant et curieux, la traduction a procuré à Émilie du Châtelet un moyen pour faire progresser ses propres recherches scientifiques tout en servant les thèses de Newton et en faisant la preuve de la pertinence de la nouvelle méthode scientifique du savant anglais. (Résumé d'un article d'Agnès Whitfield paru dans "Portraits de traductrices", publiés sous la direction de Jean Delisle, Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2001.) [Voir le module "Portraits"].